L’art martial et le sens


 

Il n’y a rien de sage à rétrécir pour que les autres ne se sentent pas en danger à cause de vous.
Nous nous demandons :
« Qui suis je pour être brillant, magnifique, talentueux et fabuleux ? »
En fait qui êtes vous pour ne pas l’être!
 
Nelson MANDELA

Pour quelles raisons les gens en viennent-ils à pratiquer un art martial plutôt qu’un sport, ou s’inscrivent dans un dojo en pensant que c’est justement un sport ? Quand je parle de raison, c’est celle de l’inconscient évidemment. Quelle est cette étincelle qui touche le tréfonds de notre Être pour prendre l’orientation de la pratique dans un dojo ? Car dans n’importe quel domaine, toute expérience que nous vivons est guidée par un désir profond de le vivre de façon incarnée. Il est étonnant ainsi d’étudier comment les pratiquants évoluent, au fur et à mesure de leurs années de pratique, aussi bien dans leur façon de mettre le kimono, que de la progression dans leur technique, ou du changement profond de leurs attitudes. Tout va de pair.

Ce qui m’a toujours impressionné le plus est la résistance que l’on met tous à un moment donné dans l’intégration du naturel. Nous agissons toujours à contrario pour apprendre petit à petit notre véritable nature. Étonnant non ? Les arts martiaux sont codifiés très précisément pour nous apprendre au travers de la forme de corps à sentir celui que nous sommes réellement. Seules la répétition et l’énergie déployée dans l’effort maintenu par la présence de l’esprit,  nous amènent petit à petit à ressentir ce qui au départ ne se sent pas, ne se voit pas. C’est pour cette raison que les anciennes écoles donnaient très peu d’explications sur les techniques. On montre, on sent, mais on n’explique pas. Toute compréhension, doit passer par le corps, qui au fur et à mesure de son vieillissement affine le principe universel de la technique pour devenir in fine une sensation. Trop d’explications tue l’essence même du geste. Ce n’est pas le même cerveau qui fonctionne. Tous les grands maîtres nous fascinent, dans le fait qu’ils ont intégré et digéré tellement d’heures de pratique, qu’eux seuls peuvent voir le merveilleux diamant dans sa totalité alors qu’un débutant n’en verra que quelques facettes encore séparées. L’art est une transcendance de l’Être qui ne peut s’exprimer que dans la liberté intime et personnelle de chacun d’entre nous. Encore faut il comprendre que la liberté la plus profonde et la plus réelle ne puisse se trouver qu’au coeur des contraintes les plus ardues (la réalité du corps liée à la gravité terrestre et à sa propre énergie : l’incarnation par exemple).

Chacun d’entre nous avons notre façon de percevoir, de pratiquer, d’exprimer ce que nous sommes. Nous avons nos propres sphères d’évolutions, en fonction de notre histoire personnelle, familiale, sociétale, culturelle, mondiale, humaine et universelle. C’est pour cela que n’importe quel pratiquant peut végéter des années alors qu’il pratique régulièrement et qu’un autre aura l’apparence d’évoluer plus rapidement. Les formes de corps qu’adopte chaque personne en disent bien long sur l’être humain et sur ses résistances. Et là ou nous en sommes avec nous-mêmes. Toutes les émotions, de la colère en passant par la peur, la tristesse, le découragement sont rejouées sur le tatami en fonction des avancées cognitives et corporelles de chaque pratiquant. L’intellect peut être un redoutable refuge, tout comme les formes de corps aussi parfaites soient elles. Tout n’est que question de mesure et d’équilibre. Tout au long de notre pratique l’humilité est de ne jamais confondre le but et le moyen. La détermination, aussi puissante soit elle,  à elle seule ne suffit pas s’il n’y a pas de remise en cause à ce niveau.  C’est tout.

A quoi nous sert l’Aïkido dans notre vie ? Sommes-nous cohérents avec notre façon de vivre et ce que nous prétendons être sur le tapis ? La question n’est pas si simple ! Se remettre en cause n’est pas une sinécure ! Car des fois, c’est ce que nous vivons dans le dojo qui nous aide dans la vie, et parfois l’inverse, un décalage pouvant même subsister longtemps en fonction de l’intégrité du moment que nous avons avec nous-mêmes (le mot intègre veut dire uni), et que nous n’avons pas encore intégré, d’où notre propre incohérence. En tout cas par honnêteté essayons de rester vigilants car,  le piège dans l’art martial est de s’enfermer aussi dans ses croyances personnelles : l’art martial choisi, le style, le grade, les clans, la fédération etc. Le dogme peut arriver très vite si l’on n’y prend pas garde. Et au lieu de s’unir, on se divise. Le seul à notre service à nous servir de guide peut être l’autre, chaque autre, débutant ou enseignant, qui si on sait l’accueillir avec respect et présence, saura comme un miroir nous montrer où nous en sommes. La liberté sans contrainte est aussi néfaste qu’une loyauté sans réserve, dans un maître, une discipline, une organisation ou autre chose. La critique ne peut être constructive que si l’on est tourné vers cet autre justement. L’art martial peut alors permettre petit à petit le discernement, et de sentir ce qui est juste ou bon pour chacun de nous même, cela devant aller parfois à l’encontre de ce qui semble établi. Comme le dit Nelson MANDELA, « Nous sommes tous capitaine de notre Âme ». Dans le mot sentir, il y a aussi le mot sensation qui vient de sens. Toute technique, toute pratique, expérimentée par nos organes des sens, ne peut exister d’elle-même non plus sans le sens que notre esprit lui donne. Sinon c’est une coquille vide. C’est par notre esprit que vient le sens, qui par l’énergie offerte par la vie transforme notre corps. C’est tout le principe de l’aïkido. Quand ce sens et notre sensation deviennent universels, nous sommes l’unité et ressentons cette sensation juste, le vide qui projette les pratiquants sans effort apparent. Les conflits alors d’ordre personnels, les rancœurs et tous les germes d’une guerre sans fin disparaissent de par eux-mêmes car ils n’ont plus aucune consistance en soi.

J’ai conscience aujourd’hui à qui je dois petit à petit cette intime compréhension et cette conviction d’être sur le bon chemin. Le mien uniquement. A Daniel évidemment, mais aussi à tous les maîtres avec qui Daniel a travaillé, ainsi qu’à mon frère qui a été le premier à m’initier aux arts martiaux. Mais je ne dois pas oublier non plus tous les gens avec qui j’ai pratiqué, avec qui je pratique et les futurs aïkidokas que je ne connais pas encore avec qui je pratiquerai. Je n’oublie surtout pas les élèves à qui j’enseigne et qui m’aident dans mon évolution de vie et d’Être. Il y a bien sûr tous ceux qui me sont très proches et moins proches dans la vie car leur différence des fois carrément insupportable m’enseigne aussi. Tous ceux cités me façonnent et concourent sans le savoir à devenir celui que je suis vraiment.

– Serge MANIEY

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